Lors de la conférence de presse du 15 juillet 2025, François Bayrou a annoncé son plan d’austérité pour 2026. Le plan du gouvernement consiste à poursuivre une cure d’austérité d’une violence sociale sans précédent durant les quatre prochaines années pour revenir sous les 3% de déficit et stopper l’augmentation de la dette publique d’ici 2029.
Pour cela, des cibles de déficit public à atteindre avaient été annoncées pour les années à venir : 5,4% du PIB en 2025, 4,6% en 2026, 4,1% en 2027, 3,4% en 2028 et 2,8% en 2029. Pour atteindre le déficit public visé en 2026, l’ex Premier ministre avait annoncé que les économies devraient être de 43,8 milliards d’euros. Gel des prestations sociales et des salaires des agent·es de la fonction publique, désindexation des pensions de retraites, suppression de deux jours fériés, réforme de l’AME et doublement des franchises médicales : pour imposer son plan d’austérité, l’ex Premier ministre cherchait depuis à dramatiser la situation des finances publiques françaises.
La CGT appelle à l’élaboration d’un nouveau budget qui tient compte des exigences sociales de ce pays.
Cette note a pour vocation de revenir sur les nombreuses contre-vérités qui ont été assénées par celui-ci lors des dernières semaines1.
Mensonge n°1 : la France est au bord de la faillite.
L’ex Premier ministre et les anciens membres de son gouvernement agitaient les peurs autour d’une possible intervention du Fonds monétaire internationale (FMI) pour redresser les finances publiques françaises. L’ex-ministre de l’Économie et des Finances Éric Lombard affirmait, le 26 août dernier, que le risque d’une intervention du FMI n’était pas à exclure. L’ex-ministre chargée des Comptes publics, Amélie de Montchalin, déclarait quant à elle en juin dernier que « si nous ne faisons pas les bons choix maintenant, ce seront nos créanciers ou le Fonds monétaire international qui nous les imposeront » ou encore qu’il y a « un risque de tutelle des institutions internationales, des institutions européennes, de nos créanciers ».
Avec une dette publique de l’ordre de 113% du PIB et un déficit public de 5,8% du PIB fin 2024, la France serait en danger car les administrations publiques seraient au bord du surendettement, ce qu’illustre la hausse récente des taux d’intérêt sur la dette publique.
De ce fait, l’économie française serait dans une situation proche de celle de la Grèce au début des années 2010 au moment de la crise des dettes souveraines. Si nous ne faisions rien, une intervention du FMI serait alors inéluctable : sans plan de réduction drastique du déficit et de la dette publique, et donc sans coupes importantes dans les dépenses publiques, les marchés financiers perdraient confiance dans la capacité de la France à rembourser sa dette. Celle-ci ne pourrait alors plus se financer sur les marchés financiers, et le FMI devrait intervenir pour apporter les fonds nécessaires et éviter le défaut de paiement. La réalité est cependant loin de ces déclarations catastrophistes, et la comparaison avec le cas grec absolument hors de propos.
Il faut d’abord noter que ce n’est pas le FMI qui décide d’intervenir dans un pays et de le mettre sous tutelle, mais c’est au pays en question de faire appel à lui pour financer sa dette publique.
Concrètement, il faudrait donc que le gouvernement français prenne la responsabilité de solliciter le Fonds monétaire international.
Ce dernier joue en quelque sorte le rôle de « prêteur en dernier ressort » : lorsque les marchés financiers perdent confiance et ne veulent plus acheter de titres de dette publique d’un État, le FMI peut lui prêter de l’argent en l’échange de l’application d’un programme d’austérité.
Lorsque la crise grecque éclate au début des années 2010, c’est en grande partie parce que le nouveau Premier ministre socialiste Georges Papandréou, arrivé au pouvoir en 2009, dévoile que le montant du déficit et de la dette publique communiqué à l’Union européenne par le précédent gouvernement était erroné. En effet, alors que le gouvernement précédent avait annoncé un déficit public de l’ordre de 6% du PIB, le nouveau gouvernement fait le constat d’un déficit à 15,4%. La correction des chiffres des finances publiques a eu pour conséquence d’inquiéter les marchés financiers, et donc les prêteurs, qui ont perdu confiance dans la capacité de la Grèce à rembourser sa dette. Les taux d’intérêt ont alors explosé. La Grèce a été en difficulté car plus personne ne voulait prêter à l’État grec. Autrement dit, les agents économiques n’ont pas voulu acheter la totalité des titres grecs émis sur les marchés financiers. Même à un taux d’intérêt très élevé, personne ne voulait demander les titres grecs car ils étaient jugés trop risqués. Puisque la Grèce ne pouvait plus s’endetter sur les marchés, c’est la troïka (FMI, BCE et commission Européenne) qui lui a prêté de l’argent, en contrepartie de la mise en place d’un programme d’austérité sévère. Lorsque le FMI, la BCE et la commission européenne arrivent en Grèce, c’est donc parce qu’elle ne peut plus s’endetter sur les marchés financiers. En mars 2012, le taux d’intérêt sur les obligations grecques à 10 ans était en effet de 37% ! À titre de comparaison, il est aujourd’hui de l’ordre de 3,5% en France.
Si on compare d’ailleurs les taux français à ceux des autres économies européennes, sauf pour l’Allemagne, on constate qu’ils sont relativement proches : 2,7% en Allemagne, 3,09% au Portugal, 3,25% en Espagne, 3,36% en Grèce et 3,52% en Italie. Ils sont mêmes de 4,08% aux États-Unis et de 4,66% au Royaume-Uni, et on ne parle pourtant pas d’intervention possible du FMI dans ces économies. Il s’agit ici du taux d’intérêt « marginal » sur la dette publique, c’est-à-dire le taux auquel l’État français émet de la nouvelle dette et le taux auquel se rachètent et serevendent les obligations françaises. Mais si on regarde le taux moyen appliqué à la dette française, c’est-à-dire celui que l’on obtient en rapportant les intérêts payés à la dette publique, on voit que la situation française est encore moins dramatique. En effet, ce taux est de 1,7% pour l’Allemagne, 1,8% pour la France, 2,2% pour la Grèce et le Portugal, 2,4% pour l’Espagne et 2,9% pour l’Italie.
Par conséquent, qu’il s’agisse du montant du déficit public ou des taux d’intérêt, on voit bien que la France est (très) loin de la situation grecque de l’époque. D’autant que la Grèce connaissait une évasion fiscale importante, contrairement à la France qui dispose d’une bonne capacité de recouvrement de l’impôt pour contribuer au remboursement de sa dette.
Par ailleurs, les investisseurs ont confiance dans la dette publique française qu’ils considèrent comme un actif sûr. Lors des dernières adjudications d’obligations assimilables du Trésor (OAT), qui sont une sorte de ventes aux enchères, il y a eu près de trois fois plus de demande pour les obligations françaises à 10 ans que d’offre. Les titres français restent donc très demandés par les investisseurs sur les marchés financiers. La France n’a donc aucun problème à financer sa dette publique. Par exemple, l’Agence France Trésor, qui est chargée d’emprunter sur les marchés pour l’État français, a levé 11 milliards d’euros de dette publique le 4 septembre. Elle n’a eu aucun problème pour se financer, car de nombreux investisseurs voulaient acheter de la dette publique française : ils en ont même demandé à hauteur de 25 milliards d’euros alors que seuls 11 milliards de dette nouvelle étaient émis !
Enfin, la Grèce était également dans une situation de déficit extérieur important au début des années 2010, c’est-à-dire qu’elle devait emprunter de l’argent auprès des pays étrangers pour financer ses importations (de biens, de services et de revenus). Au moment de l’intervention du FMI, le déficit extérieur de la Grèce était de près de 10% du PIB. Ce n’est actuellement pas le cas de la France. Bien que ses administrations publiques soient déficitaires, l’économie française
dans son ensemble est en situation de léger excédent vis-à-vis du reste du monde, à hauteur de 0,6 milliards d’euros au premier semestre 2025 selon les données de l’Insee. Par conséquent, une des raisons pour lesquelles on ne peut pas comparer la France à la Grèce, c’est qu’elle ne s’endette pas, au niveau macroéconomique, auprès de l’étranger. On ne peut donc pas dire que la France vit au-dessus de ses moyens. En effet, le déficit des administrations publiques est compensé par la hausse de l’épargne des ménages français.
Mensonge n°2 : la charge de la dette publique française va devenir le premier budget de l’État.
L’État fait « rouler sa dette », ce qui signifie qu’il réemprunte pour rembourser ses emprunts qui arrivent à échéance. De ce fait, le seul coût de la dette pour l’État, ce sont les intérêts qu’il paie chaque année sur sa dette publique. Avec la situation des finances publiques et la remontée des taux d’intérêt sur la dette française, l’ex-Premier ministre agite l’épouvantail de l’augmentation à venir de la charge de la dette. Celle-ci deviendrait incontrôlable à moyen terme et étranglerait le budget de l’État en devenant le premier poste de dépenses publiques. Ces dépenses pour les intérêts de la dette se feraient au détriment d’autres postes de dépenses comme l’éducation, la santé ou la transition écologique.
Bien que la dette publique soit de plus en plus élevée, son poids pour les finances publiques françaises est en réalité de moins en moins important. Entre 2011 et 2020, la charge nominale de la dette est passée de 56 (2,7 % du PIB) à 29,7 milliards d’euros (1,3 % du PIB). Même si elle augmente de nouveau depuis 2021, les montants en jeu restent faibles historiquement.
En effet, elle est en moyenne de 2,4 % du PIB sur la période 1978-2024, contre 2,1 % du PIB (60,2 milliards d’euros) en 2024. La comparaison internationale est aussi intéressante. La charge de la dette est de 1,1% du PIB en Allemagne, 2,4% en Espagne, 2,9% au Royaume-Uni, 3,9% en Italie et 4,7% aux États-Unis. La France n’est pas donc pas à un niveau historique et elle est plutôt dans le bas du classement au niveau international.
Nous ne sommes donc pas dans le scénario dramatique que nous décrivait à longueur de temps le gouvernement, puisque nous sommes encore loin de ce que nous avons connu dans notre histoire récente et de ce que connaissent les autres principales économies développées, qui ne sont d’ailleurs pas sous tutelle du FMI pour autant.
Par ailleurs, si l’on rapporte la charge de la dette au montant des dépenses publiques, ce qui paraît plus pertinent, nous pouvons dire que près de 4 % des dépenses publiques seulement sont consacrées au paiement des intérêts. On est donc loin de l’étau de la dette constamment décrié dans les médias !
Mais pour mesurer le poids que représentent réellement ces intérêts sur les finances des administrations publiques, il faut regarder la charge réelle et non la charge nominale de la dette.
Il y a donc un enjeu sur la façon dont on mesure la charge de la dette puisque l’Insee ne tient pas
compte de l’inflation.
Compte tenu de l’épisode inflationniste récent, le taux d’intérêt réel sur la dette publique a en effet eu tendance à diminuer fortement, voire à devenir négatif par période. De ce fait, le montant de la charge de la dette, et donc du déficit, est (bien) moins important que celui annoncé dans les comptes nationaux.
Par exemple, la loi de finances pour 2024 prévoyait une charge de la dette à hauteur de 51 milliards d’euros. La charge réelle, c’est-à-dire tenant compte des 2% d’inflation en 2024, est quant à elle de -8,9 milliards d’euros, soit -0,3% du PIB. En 2024, la dette publique a donc fait gagner de l’argent à l’État français. En effet, la perte de valeur de la monnaie avec l’inflation bénéficie à l’État, qui grâce à cela doit débourser des sommes moins importantes pour rembourser sa dette.
Il faut rappeler que la France dépense chaque année près de 200 milliards d’euros dans des aides sans conditions ni contreparties pour les entreprises, soit l’équivalent du quart du budget de l’État. Concrètement, c’est là que se trouve le principal poste de dépenses de l’État ! Ce montant représente en effet deux fois et demi le budget de l’Éducation nationale, cinq fois celui de la Transition écologique, huit fois celui de l’Enseignement supérieur et de la recherche ou encore onze fois celui de la Santé et des Solidarités2 !
Pour aller plus loin, voir la note éco n°165 « La charge de la dette devient-elle vraiment le premier poste de
dépenses de l’État » et le mémo éco n°149 « La charge de la dette est-elle vraiment hors de contrôle ? »