logo-impression
  • Posté le 18 mars 2024 / 64 visites

Réforme de l’encadrement supérieur

La Cour des comptes vient de publier ses observations définitives sur la réforme de l’encadrement supérieur dans les ministères économiques et financiers (MEF).

Ce titre interroge car le périmètre restreint aux MEF (qui emploient plus d’un tiers des administrateurs de l’État) ignore de fait la grande majorité des hauts fonctionnaires et le cadre indemnitaire n’est pas totalement stabilisé (en particulier pour les emplois fonctionnels), la Cour reconnaissant que l’estimation ne pourra être précisément chiffrée que dans trois ans.

Pour rappel, cette réforme vise à « constituer un corps unique, attractif et véritablement interministériel », celui des administrateurs de l’État . L’UFSE CGT a toujours combattu l’interministérialité, cheval de Troie de la destruction de la Fonction publique de carrière et l’attractivité doit être mise en parallèle avec le silence assourdissant opposé aux revendications salariales des agents publics dans un contexte inédit de perte de pouvoir d’achat…

La Cour reconnaît d’emblée que la volonté politique de mettre en œuvre cette réforme complexe dans des délais brefs a entraîné son découpage en plusieurs séquences — statutaire, indiciaire puis indemnitaire — ce qui complexifie l’exercice d’appréciation globale de la réforme. Un premier bilan du « succès » et de l’attractivité de la réforme peut être mesuré par les hauts fonctionnaires ayant opté pour accéder à ce nouveau corps (il est en effet possible de rester dans un corps mis en extinction) : apparemment plébiscité par les administrateurs des finances publiques et au Contrôle général économique et financier, les membres de l’Inspection générale des finances apparaissent plus réservés (ils ne représentent cependant qu’environ 10 % des effectifs concernés).

DES EFFETS BUDGÉTAIRES SENSIBLES

Il peut être utile de rappeler que ce nouveau corps comportera trois grades comportant chacun une trentaine (!) d’échelons avec deux particularités : l’accès au troisième grade sera volontairement très restrictif (de l’ordre de 2 % de l’ensemble des agents) et la progression dans les grades interviendra au gré de promotions, subordonnées à l’accomplissement d’une mobilité. Pour la CGT, la mobilité obligatoire induite ne peut que fragiliser les liens entre les hauts fonctionnaires et leurs collaborateurs et inciter à la surenchère en matière de « mercenarisation » de l’encadrement supérieur, au détriment des agents et du service publics.

Selon les termes mêmes du rapport, la nouvelle grille indiciaire est fondée sur une attractivité continue plus qu’immédiate lors du reclassement dans le nouveau corps, qui rehausse en moyenne de 4,3 % la rémunération brute mensuelle des cadres supérieurs des MEF au moment de leur reclassement (soit environ 180 € bruts mensuels). Le coût de la réforme est estimé entre 25 et 30 M€ mais s’ajouteront à ce coût celui, probable, d’un alignement des corps supérieurs techniques, des douanes et de la répression des fraudes (hors périmètre de la réforme) ainsi que la charge du glissement vieillesse technicité (GVT) qui traduit l’effet continu de l’avancement au cours de carrière (estimé à 2 M€ par an). La Cour relève sur ce point que c’est in fine la conséquence budgétaire la plus importante de la réforme du fait d’une grille indiciaire plus haute et d’une vitesse de progression légèrement accrue des indices. Encore une fois, dans un contexte où le ministre de la Fonction publique refuse d’envisager la moindre mesure salariale pour les agents publics, cet effet d’aubaine non négligeable accordé aux cadres supérieurs ne peut être perçu autrement que comme une gifle !
La Cour enfonce le clou en qualifiant ce montant de « modeste » au regard d’une augmentation d’1 % du point d’indice, chiffrée à 900 M€.

Mais ce « cadeau » n’est que l’arbre qui cache la forêt. En effet, de l’aveu même de la Cour, c’est en pratique le nouveau régime indemnitaire qui sera le principal levier d’attractivité de la réforme !
La convergence vers le régime indemnitaire des MEF, réputé comme l’un des plus favorables est l’objectif attendu. Il peut être utile de rappeler que le régime indemnitaire des administrateurs des finances publiques avait été critiqué par la Cour des comptes elle-même dans un référé de 2017 !
De même, la Cour ne fait qu’effleurer le sujet sensible du maintien de ces primes exorbitantes dans le contexte de la réforme de la responsabilité des gestionnaires publics, qui vient remplacer la défunte responsabilité personnelle et pécuniaire des comptables du « Trésor ». Pour la CGT, la désormais possible défausse de responsabilité des hauts fonctionnaires vers leurs subordonnées ne justifie plus le maintien de ces primes indécentes…
Pour rappel, les administrateurs de l’État relèvent du Régime indemnitaire sujétion expertise et engagement professionnel (RIFSEEP), déclinaison dans le public de la prime « au mérite »,car composé de 72 % de primes liées aux fonctions et 28 % liées aux résultats. La première partie a été revalorisée et harmonisée à hauteur de 30 % pour les deux premiers grades puis à nouveau rehaussée en juin 2023 ! De plus, les plafonds de ces primes ont été relevés, entre 7 % et 26 % mais jusqu’à une fourchette de revalorisation 31 % à 95 % (!) pour les emplois fonctionnels, les plus recherchés.

DES POINTS D’ATTENTION SIGNIFICATIFS

Si la CGT s’est opposée à cette réforme, c’est bien sûr pour ses conséquences statutaires mais également pour les conséquences concrètes sur l’exercice des missions par les agents publics, désormais dirigés par des hauts fonctionnaires évanescents dénués de toute culture métier. La Cour reconnaît ce risque à demi-mot, en alertant sur l’enjeu majeur du maintien de compétences professionnelles de haut niveau et reconnaît que la gestion des agents et de leurs carrières ne peut s’inscrire dans une perspective exclusivement inter- ministérielle et que les besoins des services doivent être pris en compte pour conserver parmi leur encadrement un certain degré de motivation et de technicité, en particulier en préservant la promotion interne.
Un autre sujet sensible est discrètement évoqué par la Cour, comme toujours en termes particulièrement choisis : il importe également de veiller à ce que certains services ne soient pas tentés de rajeunir trop systématiquement leurs effectifs, gonflant alors le nombre de hauts fonctionnaires sans affectation. Ce qui pouvait ressembler à une attention particulière au sujet de plus en plus sensible de l’emploi des « seniors » n’est en fait qu’une vigilance comptable sur le coût pour la collectivité de maintenir des agents sans affectation à ce niveau de rémunération, là encore un privilège exorbitant du droit commun… La gestion des fins de carrière fait cependant l’objet d’une analyse spécifique par la Cour, qui envisage un risque réel d’embolie de la gestion des administrateurs de l’État des MEF en fin de carrière.

Compte tenu du caractère interministériel du nouveau corps, la gestion des ressources humaines va devenir le domaine réservé du secrétariat général des ministères économiques et financiers par rapport aux équipes de
gestion des ressources humaines de proximité des directions générales, directions ou service. Une délégation ministérielle à l’encadrement supérieur sera particulièrement impliquée dans cette réforme. Il peut être intéressant de mettre en parallèle son effectif de quatre agents avec les responsabilités confiées !
Enfin, la Cour acte que la formation spécialisée du Conseil supérieur de la Fonction publique, intitulée « commission de l’encadrement supérieur de l’État » constitue la nouvelle instance de dialogue social sur ce sujet. Instituée par arrêté en août 2022, l’UFSE CGT y est titulaire de deux sièges. Malheureusement, seulement deux réunions se sont tenues en 18 mois, ce qui reflète la valeur accordée au dialogue social à l’heure actuelle...

Article paru dans le magazine Fonction Publique de l’UFSE-CGT de mars 2024